Connaissez-vous Berowra Waters? Situe à moins de 30 minutes de Wahroonga, ce hameau est bâti de part et d’autre de la Berowra Creek. On traverse celle-ci en arrivant par la route à l’aide d’un ferry (gratuit).
Mes deux garçons jouent régulièrement au tennis. Ils se débrouillent d’ailleurs très mais tel n’est pas mon propos.
Leur entraineur s’appelle Steven. Steven était un bon joueur de tennis dans sa jeunesse ; pas suffisamment cependant pour devenir professionnel. Il gagne sa vie aujourd’hui en donnant des cours de tennis. Son fils, Jordan, a désormais 19 ans. Il y a un an, il réussissait à passer un tour de qualification au tournoi de Melbourne, collectant ainsi ses premiers points ATP. Depuis, il a glané quelques points ça et là dans différents tournois mineurs, la plupart en Australie. Il termine l’année 2013 à la 320e place mondiale.
Il vient s’entrainer de temps en temps a Mills Park avec son père et j’ai eu l’occasion de le voir il y a quelques mois. Difficile d’évaluer le potentiel d’un joueur sur un simple entrainement. Clairement, il a un bon service, un bon lift et un beau jeu de jambe…mais cela ne suffit pas pour devenir un très bon joueur.
On sous-estime souvent l’importance du jeu de jambe, dans de nombreux sports. C’est pourtant essentiel. Je casse régulièrement les pieds à mes enfants à ce sujet « Et le jeu de jambe, alors ? Il va falloir le travailler ! » (oui, je leur parle généralement en français). Au tennis, on voit beaucoup de cogneurs. Les joueurs qui donnent priorité au jeu de jambes sont plus rares.
Au mois de décembre, un tournoi de tennis est organisé en Australie pour les australiens. Le vainqueur bénéficie d’une Wild Card (invitation) pour l’open d’Australie. Tous les joueurs australiens s’y retrouvent (exceptes ceux déjà qualifiés ou bénéficiant déjà d’une WC). Parmi eux, Jordan. Apres plusieurs matchs âprement disputés, la plupart en 4 ou 5 sets, Jordan sort victorieux de chacun de ses duels. Quand je vais féliciter Steven pour l’exploit de son fils, il a une manière très particulière d’exprimer sa joie. Il me dit que c’est pas mal mais que Jordan n’est pas assez constant. J’imagine qu’il fait référence à la finale. Jordan menait 2 sets à 0, 5-4 service à suivre avant que son adversaire ne revienne et égalise à 2 sets partout.
Maintenant, c’est bien joli de jouer le premier tour du tableau final de l’Open d’Australie mais on se demande à quelle sauce il va être mangé. Il peut être néfaste de commencer trop tôt dans la cour des grands. Quand la différence de niveau est trop importante, le néophyte n’apprend rien et prend un grand coup au moral. Le suspens monte à l’approche du tirage au sort du premier tour. Le hasard lui procure comme adversaire Jerzy Janowicz, révélation du tournoi de Paris-Bercy 2012 et 20e mondial. Cela aurait pu être mieux, mais aussi bien pire.
Aura-t-on la chance de voir ce match ? La télévision australienne, naturellement supportrice et patriote diffuse effectivement la rencontre. Surprise, dès le début du match, Jordan prend les devants et semble très solide. Et surtout, son jeu de jambes les amis, son jeu de jambes fait merveille. Il est en avance sur toutes les balles, y compris les amorties que Janowicz aime à produire. Alors que Jordan est proche de conclure le match en 3 sets, son opposant serre le jeu et revient. Il revient tellement bien qu’il gagne la rencontre en 5 sets.
Néanmoins, Jordan a sorti un grand match et a été tout proche de passer. Alors, entrera-t-il bientôt dans le top 100 ? S’il continue à jouer aussi bien, c’est probable ! Go Jordan !
La semaine commençait un lundi (je sais, "encore"). Mes horaires matinaux m’autorisent à finir tôt ; hop, à 5 heures de l’après-midi, je peux aller aider nos amis qui s’occupent d’un centre de tennis. Au programme, de la tonte sur terrain pentu. Je suis devenu un peu spécialiste de ce genre d’exercice (équipé de chaussures de sécurité bien sûr).
Je joins une photo qui montre un échantillon du résultat. En « vrai », ça rend mieux que sur photo, je vous assure !
Le lendemain, un autre travail m’attend après ma régulière journée de dur labeur. Un cours de maths a North Turramurra pour un étudiant qui démarre en Year 12. Parmi mes activités, c’est sans doute la plus reposante…
Le mercredi, je dois rencontrer l’adjointe principale de l’école. Cela concerne les enfants. Rien de très grave mais un rendez-vous est quand même nécessaire. Elle n’est pas disponible les après-midis et elle travaille très tôt le matin. Nous nous sommes finalement mis d’accord pour nous rencontrer a 6.15 AM.
Apres avoir testé les entretiens d’embauche à 7h00 du matin, voici les entretiens avec les responsables de l’école à l’aube ; tout est possible en Australie.
Des anciens clients (oui, je n’ai pas encore eu l’occasion d’en parler) m’ont sollicité pour effectuer quelques travaux. Ma seule disponibilité dans la semaine est le jeudi matin car mon shift sera de 12 à 21h00. Je peux donc tailler des haies et tondre la pelouse entre 8h00 et 10h00.
Vivement le week-end !
Quoique d’autres clients m’attendent aussi.
Vivement la retraite !
Passer ses journées à répondre aux clients, par téléphone ou par e-mail, c’est bien.
Stimuler les employés et récompenser les plus efficaces, c’est mieux.
Car la boite a développé des outils pour mesurer la productivité. Les employés les plus productifs bénéficient d’une prime mensuelle en argent sonnant et trébuchant.
Vais-je réussir à être suffisamment productif ?
Non, car…camarades, écoutez.
CAMARADES, ECOUTEZ-MOI !
CAMARADES…NOUS FAISONS TOUS UN TRAVAIL DIFFICILE !
NOUS BOSSONS DUR, TOUS LES JOURS, POUR PAYER NOTRE LOYER ET NOURRIR NOTRE FAMILLE.
ON NOUS EN DEMANDE TOUJOURS PLUS, EN QUALITE ET EN QUANTITE…TOUT CA POUR ALIMENTER LE CAPITALISME, POUR ENRICHIR LES PATRONS ET LES ACTIONNAIRES.
CHAQUE MINUTE QUI PASSE PROFITE A CEUX QUI NOUS DIRIGENT !
CHAQUE GOUTTE DE SUEUR QUE NOUS TRANSPIRONS GONFLE LEUR COMPTE EN BANQUE !
ON NOUS PROPOSE AUJOURD’HUI UNE PRIME DE PRODUCTIVITE ! NE TOMBONS PAS DANS CE PIEGE CAMARADES !
NE TOMBONS PAS DANS LE PIEGE DE TRAVAILLER ENCORE PLUS AU DETRIMENT DE NOTRE SANTE. LA PRODUCTIVITE N’A QU’UN SEUL OBJECTIF : PERMETTRE AUX PATRONS, AUX RICHES, AUX PRIVILEGIES DE S’ENRICHIR ENCORE PLUS, GRACE A NOUS !
NE TOMBONS PAS DANS CE PIEGE ET RESISTONS AU CAPITALISME !
ILS VEULENT NOUS SUCER L’OS JUSQU’A LA MOELLE ! GARDONS NOTRE DIGNITE, FAISONS FACE AU CHANTAGE, RESISTONS AU CAPITALISME !
Comment ai-je pu oublier de parler des boulettes ?
Elles sont omniprésentes, cachées derrière chaque fourré de logiciel, tapies sous chaque question posée et prêtes à bondir.
Je différencie 3 types de boulettes :
Un peu comme les trous noirs, on ne les voit pas et pourtant, on devine leur présence, au cœur d’une conversation ou dans un coin de logiciel.
J’ai la conviction que je génère parfois (souvent ?) des BDNI (Boulettes Dormantes Non Identifiées), dormantes car un jour peut-être, un archéologue des temps modernes mettra à jour certaines d’entre elles et en recherchera l’auteur.
Cette dernière catégorie regroupe habituellement les boulettes les plus inoffensives, c’est d’ailleurs pour cette raison qu’elles restent inaperçues, au moins plusieurs semaines.
Essayons de trouver quelques aspects positifs à ce travail.
On peut dire en premier que je gagne un peu de sous…c’est bête à dire mais on travaille surtout pour gagner de l’argent.
Ensuite, on peut dire qu’on travaille dans une ambiance studieuse et concentrée.
En général, quand les salaires sont bas, on se console en disant «on est n’est pas payés cher mais on rigole ! ». Là c’est plutôt « On n’est pas payés chers mais on moins on ne rigole pas ».
Mes compétences linguistiques ne s’améliorent pas beaucoup. La plupart des appels que je reçois sont en français. Et il n’y a pas un seul natif australien dans la boite.
Quand la DRH m’a téléphoné pour me proposer un entretien, elle m’a dit qu’elle cherchait quelqu’un qui parle bien à la fois français et anglais et elle a ajouté « en anglais, je constate qu’il n’y a pas de souci, vous parlez bien ». Au même moment, je me disais « elle a un sacré accent asiatique elle ! ».
Quand on a démarré la formation, un japonais me dit « Comment tu fais pour parler aussi bien anglais ? » (il vit en Australie depuis plus longtemps que moi). Je n’ai pas osé lui demande pourquoi, lui, parlait aussi mal anglais…comparé à l’accent de nombreux individus dans la boite, mon accent anglais est très correct, cependant pour les australiens, mon accent reste marqué.
Et pour ce qui est du vocabulaire, j’ai également une marge de progression importante…mais cette expérience professionnelle ne va pas m’aider à progresser.
Un petit mot sur les clients que je n’aime pas du tout. Particulièrement ceux qui appellent au moment au je dois quitter mon boulot. Ceux-là sont haïssables.
A 17h55, la journée se termine, plus que 5 minutes…
A 17h59, je commence à fermer les nombreuses fenêtres des logiciels que j’utilise…
A 18h00, je vais pour me déconnecter et paf, un client appelle !
Il le fait exprès ou quoi ? A l’incrédulité succède la triste réalité. Pas moyen d’échapper à cet appel, je dois prendre ce client en ligne.
Mais il y a pire.
Bien pire.
A chaque fois que le téléphone sonne, une appréhension me saisit ; la peur de l’appel compliqué. En moyenne une fois par jour, j’ai une demande que je ne sais résoudre.
Dans ces cas-là, je mets le client en attente.
Je respire un grand coup et je récapitule la situation. Je me souviens vaguement avoir entendu parler de ce cas particulier en formation… Il faudrait que je retrouve le bon manuel, ensuite que je retrouve la bonne page. Après que je lise les différentes étapes et surtout que je les comprenne.
J’en ai au moins pour 10 minutes rien qu’à faire ça.
Et le client qui attend !
Je me sens comme si je devais gravir une montagne alors que je suis ligoté sur une chaise.
Une chape de désespoir s’abat sur moi. Il me prend l’envie soudaine de tout laisser en plan, prendre mon sac et partir.
J’hésite…je perçois vaguement la vie qui continue autour de moi, indifférente à mon malheur.
L’idée du suicide me traverse également l’esprit. J’abandonne également cette idée, c’est pas trop mon truc le suicide.
Peut-être dois-je discrètement raccrocher…je dirai que la communication a été coupée.
Finalement, je choisis héroïquement d’affronter la dure réalité ; je dis au client « Merci de patienter, je m’occupe de votre demande ».
Tu parles, je m’occupe de rien du tout, je ne connais même pas la marche à suivre.
Quelqu’un peut-il me dire ce que je fais la ? Qu’est-ce qui m’a pris un jour de vouloir venir en Australie ?
J’étais pas si mal en France. J’avais une vie tranquille. J’avais une maison, une gentille épouse, un chat. Un boulot pas trop difficile, bien paye. Je me revois rentrer à la maison en été, dans ma confortable voiture, allumer mon barbecue a gaz, griller quelques saucisses, m’accorder une petite bière fraiche.
Une petite vie tranquille sans le souci du lendemain en quelque sorte.
Pour l’heure, j’ai un client qui attend et aucune issue ne pointe le bout de son nez.
Ce que j’aime dans mon boulot actuel, ce sont les conversations avec mes collègues. On a naturellement envie de discuter, savoir d’où ils viennent, ce qu’ils ont fait avant…Sauf que souvenez-vous, tout est minuté.
Le plus souvent, on a juste le temps de dire bonjour.
Une autre fois, on croise quelqu’un à la pause café « Alors, ça fait combien de temps que t’es en Australie ? », «Ca fait 2 ans mais je reprends dans une minute ! » ou encore «t’as passé un bon week-end ? », « oui, super, mais il faut que j’y aille, la ».
On doit apprendre la communication efficace. Pas de temps mort, pas de réflexion on dit ce qu’on a à dire et le plus rapidement possible.
C’est sympa ça, non ?
Pour compenser la frustration des conversations avec les collègues, on peut converser avec les clients au téléphone.
L’autre jour, j’en ai eu un qui était mécontent des services apportés par la boite, il est reste une heure en ligne à me répéter 20 fois les mêmes choses…mais je crois que cela lui a fait du bien. Ma polyvalence m’amène à devenir psychologue dans ces circonstances.
Je prends aussi quelques libertés : Avec un client, je dis « Tiens, vous avez un chat ? » « Oui, il veut parler aussi » ; « Ah, et j’entends un coq également ! ». Je dois quand même faire attention, il ne ne s’agit qu’un jour un client me dise « Et si vous vous occupiez un peu de mon billet au lieu d’écouter ce qui se passe chez moi ?! »
Il y a aussi les clients qui tutoient ; la première fois, c’était avec une dame, j’ai cru que j’avais mal compris ; et si, j’avais très bien entendu… On s’habitue vite, les gens des iles tutoient facilement. Que fais-je dans ces situations-là ? Je tutoie également !
Dans un autre genre : récemment, une dame m’appelle pour faire une réservation. Apres de laborieuses minutes, je réussis à avancer sur le dossier et lui donne la référence de la réservation Z2OKVZ, elle me répète la référence et je lui dit que ce n’est pas un zéro mais un O ; « Alors, me dit-elle, je lui rajoute une petite queue pour pas me tromper » avant d’ajouter « Vous savez, j’ai 68 ans, je peux me permettre une allusion pornographique ! »
Comment peut-on aimer travailler dans un Centre d’Appels ? C’est la question que je me posais avant même de commencer.
Au matin du premier jour, je discute 2 minutes avec un compatriote, « Alors, tu travailles depuis combien de temps ici ? » puis demande en toute innocence « Et alors, ça te plait ce boulot ? ».
La franchise de la réponse m’a surpris, plus que le contenu de la réponse : « Non, c’est mal payé, il n’y a aucune reconnaissance, ce ne me plait pas. »
Cela a le mérite d’être clair.
Les employés restent-ils longtemps dans cette boite ? Une autre personne m’a confirmé que le turn-over était très important.
On fait donc ce boulot quand on a rien d’autre…quel avenir pourrait-on espérer ?
Durant la formation, on nous dit qu’il faut au moins 3 mois pour se sentir à l’aise avec les outils et pour être efficace dans l’assistance aux clients. Tous les collègues expérimentés me l’ont confirmé, 3 mois est un minimum.
Néanmoins, à la fin de la formation, on nous pousse (nous, les 5 petits nouveaux employés) à répondre au téléphone et être opérationnel le plus rapidement possible. On s’est fait bombardés d’info les jours précédents et on serait capables de répondre aux clients ?
Je leur ai dit que pour certains appels, on pourrait sans doute se débrouiller, mais pour d’autres, ce serait le calvaire…pour nous, mais surtout pour les clients.
Parce que la règle ici, c’est que quand on a un appel, on le traite jusqu’au bout, même si il y a des gens plus expérimentés disponibles.
Résultat, l’autre jour, j’ai gardé en ligne une personne pendant deux heures et demie. Je l’avais dit, nous jeter dans l’arène aux lions n’était pas l’idée du siècle.